Quand le rêve tourne au cauchemar

Le syndicat à la rescousse d’un travailleur étranger temporaire

Publié : 31/08/2023

Ingénieur en mécanique originaire des Philippines, Manuel Lero Gianan Junior carbure aux défis. Après un séjour de quatre ans en Australie, il renonce à immigrer de façon permanente au pays des kangourous et revient plutôt aux Philippines, où il trouve un bon emploi permanent au ministère des Travaux publics, toujours comme ingénieur.
Mais Manuel a encore la bougeotte. Il rêve de toucher la neige, qu’il a vue dans les dessins animés de son enfance : « Mon rêve, c’était de venir au Canada ».
En 2019, une occasion se présente et lui permet de venir en tant que travailleur étranger temporaire dans une entreprise abitibienne. « J’étais content quand l’entreprise m’a contacté pour me dire que j’étais choisi. Quand ils m’ont dit que c’était une province où l’on parlait français, c’était un autre défi. J’aime beaucoup apprendre. J’étais tout excité », raconte-t-il.

Ici, il travaille fort en tant que mécanicien de véhicules lourds, ayant un salaire somme toute limité qui suffit à peine à payer les comptes de sa maison aux Philippines, où habite son épouse, ainsi que ses frais de subsistance au Québec.

Après deux ans, en pleine pandémie, il commence à interroger son employeur au sujet de son salaire. « J’avais fouillé un peu sur les salaires, et je voyais bien que cela ne convenait pas. Je posais régulièrement des questions sur le moment des prochaines augmentations. Le patron m’a fait venir dans son bureau. Ça a été une expérience difficile. Il m’a dit des choses que je n’allais pas oublier de sitôt », se souvient-il avec émotion.

Le travailleur étranger temporaire fut alors congédié, cinq mois avant l’échéance de son permis de travail ferme, qui lui donnait le droit de travailler seulement pour un employeur. « On n’a plus de travail pour toi ici », lui avait lancé l’employeur. Il devait même déménager, puisqu’il était hébergé par ce même employeur. « J’étais paralysé, je ne savais plus quoi faire », confie Manuel.  

Un collègue lui a alors conseillé d’en parler à son syndicat Métallos. « Au début, ma confiance envers le syndicat n’était pas grande. Je me disais que ces responsables ne pouvaient pas aller à l’encontre de quelqu’un qui était de leur propre race. Je suis juste un étranger, pourquoi se battraient-ils pour moi ? Je n’avais pas d’espoir. »
Mais Manuel est surpris. Il trouve une oreille compatissante en Sébastien Rail, qui était alors vice-président de la section locale composée 9291. « Je pouvais sentir sa sincérité, je me suis confié à lui. Il m’a suggéré de ne pas abandonner mon idée de travailler ici et de postuler pour travailler dans une autre entreprise de la région », se rappelle-t-il.

Entre-temps, le syndicat a effectué un suivi pour l’aider à faire avancer sa demande d’assurance-emploi, qui traînait en longueur depuis plusieurs semaines. Le représentant du syndicat a aussi parlé de Manuel Lero Gianan Junior avec les responsables des ressources humaines de Technosub, une entreprise syndiquée avec les Métallos, qui fabrique des pompes pour le secteur minier et qui emploie plusieurs mécaniciens, tout en recrutant régulièrement des travailleurs étrangers. « On a expliqué à Manuel qu’on croyait en lui, que c’était un gars travaillant et prêt à mettre les efforts pour que ça fonctionne », raconte Sébastien Rail, aujourd’hui président de la section locale composée 9291.

De fil en aiguille, Technosub a effectué les démarches pour que Manuel puisse avoir le permis nécessaire pour y travailler. Il a fini par être embauché, et son permis a même été renouvelé jusqu’en 2024.

Je suis très reconnaissant envers les représentants du syndicat. Ils m’ont fait sentir que je n’étais pas seul. Jusqu’à la dernière minute, Sébastien était là pour me soutenir, jusqu’à ce que je signe mon nouveau contrat de travail.

« J’étais tellement fier de leur soutien ; j’ai dit à tout le monde aux Philippines que le syndicat s’était battu pour moi jusqu’à la fin. »
Le rêve de Manuel peut maintenant reprendre son cours : « Je veux vraiment rester ici, je ressens de la passion chaque jour au moment d’aller au travail. Cette année, ma femme viendra même visiter le Québec en tant que touriste, pour évaluer la possibilité de rester ici », explique le travailleur, qui a maintenant repris ses cours de français, interrompus pendant plusieurs mois en raison de la pandémie.

 

Un défi syndical
Le nombre croissant de travailleurs étrangers temporaires dans les milieux de travail pose des défis aux organisations syndicales.

Chez Technosub, là où Manuel a trouvé un nouvel emploi, c’est maintenant près de la moitié du personnel syndiqué qui a un permis de travail temporaire. « Ça prend de la francisation en milieu de travail, sur les heures de travail », indique Sébastien Rail, qui inscrit cette demande dans son petit carnet en vue des prochaines négociations. Il envisage aussi de demander à l’employeur de rembourser les coûts des services d’un interprète pour les assemblées syndicales.

Le président syndical déplore que certains employeurs misent sur la division. « Il y a des ponts à bâtir entre les communautés, et c’est souvent à cause de la barrière de la langue », constate-t-il.

Une grande précarité
Au Québec, le nombre de travailleurs étrangers temporaires est en nette augmentation ces dernières années. On estime qu’il y avait 145 000 titulaires de permis temporaires en 2021, et au moins 181 000 en 2022. Lorsque le gouvernement du Québec évoque son seuil annuel de 50 000 immigrant.e.s accueilli.e.s par année, il ne tient pas compte de ces personnes qui travaillent ainsi avec un permis temporaire. Certains de ces permis sont renouvelés de façon indéterminée, puisque les besoins des entreprises pour cette main-d’œuvre sont bien réels en période de pénurie.

Mais voilà que la plupart de ces permis sont considérés comme « fermés », donc jumelés à un seul employeur ; le statut de ces travailleurs étrangers est donc particulièrement précaire. Ces personnes deviennent à la merci d’un congédiement, d’un renvoi ou du non-renouvellement de leur contrat.

De plus, depuis 2020, les travailleurs et travailleuses moins qualifié.e.s n’ont plus accès à l’immigration permanente au Québec. Ils et elles sont donc condamné.e.s à être de la main-d’œuvre jetable, même après avoir appris le français et s’être intégré.e.s à la société.

Le statut de ces travailleurs étrangers est particulièrement précaire, puisque leurs permis sont généralement valables pour un seul employeur.

Cet article est tiré du dernier numéro du magazine Le Métallo, disponible en ligne ici.